EMPOWERED #2 DISCUSSION AVEC Audrey Dana

A l'occasion de la sortie du film "Les âmes soeurs" d'André Téchiné, sorti en salles aujourd'hui, l'actrice, réalisatrice et scénariste Audrey Dana nous a accordé une interview dans laquelle elle revient sur son parcours de réalisatrice et sur ses priorités d'artiste engagée. Des mots forts, optimistes, engagés et chargés de sens.

Tu es actrice, réalisatrice et scénariste, as-tu des critères précis pour choisir tes projets ou fonctionnes-tu à l’intuition  ? 

La manière dont je travaille, c’est beaucoup à l’instinct - Est-ce que ça me crée de l’enthousiasme ? Est ce que j’en ai envie ? Et aujourd’hui, je suis capable d’analyser ce qui me crée vraiment de l’enthousiasme : ce sont des projets engagés et qui résonnent avec ce que j’ai envie de partager et de voir fleurir sur terre.

Mais pas que…tu es également mère et une artiste engagée pour l’écologie et les droits des femmes, quels conseils peux-tu donner à nos lectrices pour allier vie professionnelle exigeante, vie de famille et combats personnels ? 

Je dis qu’il faut se foutre la paix absolument, à tout prix ! Parce que personne n’arrive à tout concilier et c’est un mythe, c’est-à-dire que même les personnages qu’on va suivre sur internet qui nous donnent la sensation de gérer plusieurs enfants etc … C’est pas vrai, tout ça est faux ! Tout le monde galère, tout le monde a du mal à concilier, il n’y a pas de parents parfaits. On l’espère, on voudrait, on passe notre vie à se dire qu’on ne va pas ressembler à nos parents, pour se rendre compte un matin qu’en fait il y a du boulot ! Et c’est pour tout le monde pareil. Donc moi ce que je conseillerais, c’est de se foutre la paix en fait et d’être au plus proche de ce qui nous crée de l’enthousiasme, « ça, ça m’en crée alors je dois y donner le plus de temps possible et puis le reste c’est un peu moins important. »

On ne peut pas tout faire. Moi par exemple, j’aime les gens donc tous les gens qui m’écrivent j’aimerais leur répondre, leur consacrer du temps. Ça m’arrive de faire des masterclass avec des jeunes qui vont beaucoup me relancer et me solliciter derrière, j’aimerais pouvoir prendre le temps de répondre à tout le monde, vraiment lire tous les scénarios qu’on m’envoie, pour avoir mon avis, mon regard, mais je ne peux pas.

On ne peut pas tout concilier, donc on fait ce qui est ok et possible pour nous, et on se dit que c’est déjà vachement bien, on passe plus de temps à se féliciter.

Mais félicitons nous davantage en fait ! On traite mieux nos propres amies, nos copines, mieux que nous mêmes en fait. Combien de fois on se dit « Oh je suis débile, mais c’est pas vrai je suis bête, mais j’en peux plus je suis vraiment naze … ». Mais jamais on dirait ça à une amie, tu m’imagines moi te dire « T’es vraiment nulle ! » ?


On peut entendre dans certains milieux professionnels que "la femme peut être un loup pour la femme", tu en as fait la preuve du contraire en mettant en avant de manière juste des actrices aux carrières et profils différents dans ton premier film, « Sous les Jupes des Filles », notamment en imposant une grille de rémunération équitable entre tous les talents.

Selon toi, comment les femmes peuvent-elles agir pour faire progresser le milieu du cinéma qui reste encore très patriarcal ?

C’est y aller en fait !  C’est-à-dire que moi, je ne me suis jamais posée la question d’être une femme ou d’être un homme en fait. Je suis moi, j’avais envie de faire des choses, je pense qu'il faut y aller avec ses tripes en fait. Je ne sais même pas ce que ça veut dire cette expression, donc oui j’entends bien que dans beaucoup de milieux ultra masculins, les femmes qui vont réussir peuvent elles mêmes développer une énergie de compétition et de survie, de rivalité etc … évidemment ce n'est pas le chemin, ce n'est pas le modèle puisque ça c’est le modèle patriarcal, le modèle de domination et que ça, ça ne marche pas.

On a surtout besoin de faire monter les autres femmes, parce que si tous les hommes étaient en paix avec leur énergie féminine on n’aurait pas de problèmes, il n’y aurait pas d’histoire de patriarcat, il n’y aurait pas de place à gagner pour la femme, il n’y aurait pas ça ! Donc en fait c’est une réconciliation avec le féminin en règle générale qu'il faut opérer, donc oui les femmes, plus de femmes à tous les postes à haute responsabilité et des hommes qui acceptent, embrassent leur part de féminin, à tous les niveaux. Parce que le patriarcat, les mecs aussi en souffrent… 

De ne pas pouvoir montrer toutes leurs facettes ?

On peut pointer la domination masculine, ce qu’elle fait sur les femmes, c’est clair net et précis et horrible et d’un autre coté ce que les mecs subissent, c’est beaucoup plus pernicieux puisqu'il y a une figure de l’homme dans le modèle patriarcal qui ne correspond à aucun homme. Parce que tout homme est doté d’une archi sensibilité également, d’une part de féminité également et dans le modèle patriarcal on balaie ça, et on dit ça c’est non !

Donc on tombe dans tous les clichés, tu ne pleureras pas, tu seras un homme mon fils, tu seras fort. Là il y a toute une nouvelle génération, on adhère ou on n'adhère pas, qui a décidé de se dire « je ne suis pas un garçon, je ne suis pas une fille » et comme ça au moins ils ne demandent pas au patriarcat de changer, eux ils disent « bah les filles c’est censé être comme ça, les mecs c’est censé être comme ça, je ne suis ni l’un ni l’autre donc j’ai le droit de faire ce que je veux, un peu des deux ».

Tu as donc développé très tôt une forme de liberté, enfin d’identité, je suis Audrey c’est tout !

Oui voilà je suis Audrey, c'est tout, et donc quand je réalise mon premier film je ne me dis pas « mais mon dieu c’est vraiment un endroit où seuls les hommes ont le droit de régner, que vais-je faire ?». Bien sûr j’avais peur, mais ça aurait été la même chose si j'avais été un mec car j’allais faire mon premier film. Je ne me suis même pas posée la question en fait. 

Mais merci d’abord d’avoir eu une mère qui était assez particulière et très haute en couleurs on va dire et très ouverte à plein d’égards, un père qui m’a énormément poussée sans me dire "jamais tu ne pleureras" mais en me disant "tu réussiras ce que tu entreprends fais ce que tu as envie de faire, il n’y a pas de limites à tes rêves, rêve grand etc".

Tu as eu la chance de grandir dans une culture d’empowerment 

Voilà exactement, donc ça a fait que j’ai mis beaucoup de temps en fait à comprendre le monde dans lequel j’habitais, à voir, à comprendre, bien sûr je me rendais compte qu’il y avait des injustices autour de moi, je les voyais partout, je voyais l’horreur, je voyais les injustices, mais je n’étais pas non plus dans cette archi conscience, tout restait possible pour moi, je trouve que ça a beaucoup changé maintenant.  

Presque à l’opposé, tu as managé des têtes d’affiche 100% masculines dans « Hommes au bord de la crise de nerfs », ton troisième long métrage en tant que réalisatrice, comment as-tu vécu cette expérience ? 

Les deux tournages se sont magnifiquement bien passés, la grande différence, c’est que pour Sous les jupes des filles, les actrices ne tournaient pas toutes ensemble, elles avaient quelques moments ensemble mais c’était beaucoup des vignettes en fait sur elles, alors que les hommes dans mon dernier film étaient ensemble du début jusqu’à la fin donc ça aurait pu à un moment ou à un autre un peu exploser !

La fatigue aidant, et surtout avec mes méthodologies de tournage, parce que je suis très engagée écologiquement, donc sur mes plateaux de tournage comme je sais que ça a un vrai impact sur l’empreinte carbone, il y a par exemple des toilettes sèches et des fruits et des légumes sur la table et des concombres dans l’eau !

On tournait en extérieur dans des eaux glacées, tout ça aurait pu créer un climat de tension et non … ça s'est ultra bien passé même ! Parce qu'en fait je n'ai pas choisi des garçons et des filles, j’ai tout simplement choisi des gens biens.

 

Peux-tu m’en dire un peu plus sur ton rôle dans le film « Âmes Sœurs » d’André Téchiné qui est sorti en salles aujourd'hui. 

C'est une très belle histoire d’amour, d’amour impossible, d’amour qui doit apprendre à se transcender, mais tout ce film n’est qu’à propos d’amour, qui est pour moi le seul sujet qui compte véritablement dans la vie parce que justement quand on est dans l’amour on est dans l’équilibre du féminin et du masculin, on est dans sortir de la violence, de la domination, de toutes ces choses là donc le thème du film voilà, c’est l’amour.

Il se trouve que c’est un amour impossible, celui entre un frère et une soeur magnifiquement interprétés par Benjamin Voisin et Noémie Merlant, et moi dans cette histoire je viens un peu justement incarner je crois une forme de cadre. Je suis un peu "la Mamma" parce que c’est la Maire du village et en même temps c’est un peu la seule référence adulte mais qui est assez ancrée quand même dans une forme de normalité c’est à dire, qu'elle est mariée, elle est maire de son village, elle a ses 3 enfants, elle est très dévouée, très investie, mais elle représente aussi la morale et c’était chouette pour moi d’aller faire un personnage si loin de moi a priori et j’adore ça !

Je ne me reconnais même pas dans le film, physiquement je ne me reconnais pas, et j’aime bien ça, j’aime bien aller voyager dans des personnages pour lesquels je ne vois pas pourquoi un metteur en scène a pensé à moi pour faire ça et bien sûr c’était très chouette de collaborer avec André Téchiné, c’est vraiment une référence pour tout acteur. Qui n’a pas vu des films d’André Téchiné, qui n’a pas aimé des films d’André Téchiné et qui n’a pas eu envie de tourner avec André Téchiné ? Et de voir ces deux jeunes acteurs, cette nouvelle génération qui arrive, qui est folle de talent c’était très joyeux ! 

Un voyage gravé dans ton coeur ? 

Moi je suis une amoureuse des arbres, je suis une amoureuse du règne végétal en règle générale, je pense qu’on l’aura compris chez moi ! On me parlait de l’Islande, on me disait que c’était formidable là-bas, et d’ailleurs il y a une expression enfin une petite blague islandaise c’est «  si tu te perds en forêt en Islande alors mets-toi debout » parce qu’en fait il n’y a pas d’arbre, ce ne sont que des buissons, donc on me disait "c’est merveilleux, c’est magique, c’est le pays des fées et des elfes" et tout ça, mais moi je ne voyais pas comment j’allais connecter en fait avec un endroit sans arbre et ça a été en fait le plus gros choc émotionnel de ma vie parce qu'on est remis instantanément à sa petite place, à sa juste place de petit homme là-bas puisque les paysages nous écrasent et c’est le ciel à 360.

En quelques kilomètres, c'est une variété de décors et une diversité de couleurs, et puis la roche y est si riche. Ce qui se passe sous nos pieds est assez déstabilisant. D’ailleurs, il y a des bains de souffre un peu partout, tu plonges, tu te relaxes, il y a quelque chose qui connecte, qui reconnecte. 

La nature comme point d'ancrage 

Si notre environnement à tous les humains était à ce ratio islandais de nature/homme, le monde irait beaucoup mieux je pense !

Audrey Dana porte notre chemise iconique Adonis

Crédit photographique : Martin Lagardère.

MUA : Gwenaëlle Courtois.

Remerciements Api Rp.